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La phénoménographie anthropologique
21 février 2008

Le deuil. Entre présence et absence du mort

Le deuil. Entre présence et absence du mort.

Il fut ensuite question de la mort. Plus précisément du deuil, comme invention de l’homme (même si cela peut-être discutable pour certains qui verront des animaux en deuil).

Je sais, moi petit être humain, que je mourrai. C’est ainsi. Je sais que ma vie aura une fin. Mais pour vivre avec l’idée que cela même (vivre) se terminera (un jour…quand?), je repousse l’idée de ma mort, je la repousse dans la toile de fond. L’homme est certain qu’il mourra. Il est à la fois conscient de cette fatalité et en même temps ne peut l’être. Je ne sais même si l’on peut ici parler de détail. Un détail, nous le concevons, nous l’identifions ou le caractérisons, nous le rencontrons ou le reconnaissons. La mort, nous mettons notre vie en danger si nous nous en rapprochons. Le détail nous rassure, la mort nous fait peur. Ainsi les idées religieuses sont venues en aide à cette inquiétude du néant. Elles ont inventé une vie après. (Pas de chance, elle n’est pas toujours meilleure que celle ici-bas selon certains. En fait la vie terrestre conditionnerait la vie céleste, mais cela n’est pas le propos). L’important c’est de croire qu’on vivra encore, qu’importe si c’est plus injuste, moins injuste. L’homme et son intelligence, force de conscience de l’arrêt total de notre être, évitent le face à face avec la mort. Sauf quand il s’agit de la mort des autres. Oui, même pour eux, la religion chrétienne organise un avenir dans l’au-delà, mais nous, les proches, amis ou parents, y sommes confrontés. Elle nous ferait peut-être moins peur cette mort si nous ne la connaissions pas par celle des autres, comme l’absence insoutenable de l’être chéri. Et en même temps, à part dans certains cas, nous y survivons. Contrairement à notre propre mort. C’est certainement le paradoxe que quelques uns nommeront absurde, de la mort de l’Autre, aimé. Nous supportons plus mal encore que l’idée de la nôtre, l’idée de la disparition des êtres chers. Parce que nous serons là pour vivre la douleur de cette perte. Alors, nous aide le souvenir. La présence absente de l’autre. Le deuil. Nous pensons le défunt comme absent et en même temps présent, sans pousser à l’extrême ni son absence, ni sa présence. S’inspirant de notre connaissance de ce proche mort. En effet, lors de son vivant, nous le connaissions, nous savions « à quoi il ressemblait », comment il parlait, bougeait. Nous connaissions aussi ses goûts, ses idées, ce qu’il faisait, ce qu’il disait. Ce(ux) qu’il aimait. Mais nous ne nous attardions pas. Il n’est pas possible de sans cesse être attentif. Nous percevons globalement les objets et les autres personnes. Notre appréhension des autres est globale. Nous retenons les traits expressifs de quelqu’un, pour le reconnaître et l’apprécier ensuite. Nous vivons dans une succession de face à face plus ou moins longs, dans lesquels nous devons rapidement et immédiatement prendre conscience, concevoir l’existence et la manière d’être présent de l’autre, puis les rôles.

Nous ne pourrions nous attarder sur la cafetière électrique le matin…ni sur l’homme dans le rétroviseur de la voiture quelques minutes plus tard. La conscience implicite suffit. Pour celui, celle qu’on aime, notre connaissance est certainement plus approfondie. Nous les voyons souvent. Nous n’avions pas peur de perdre du temps quand nous nous attardions avec eux. Mais ils étaient là, ils faisaient partie de nous, de nos vies et mondes. Nous pourrions dire que nous les connaissions par cœur mais nous pourrions vérifier que, une fois passée la découverte, nous nous habituions à eux, surpris peut-être toujours par eux, mais sûrs de là où nous les trouverions (voyez comme cela nous déstabilise de l’ignorer parfois), sûrs de leur apparence (voyez comme cela nous trouble de ne pas reconnaître). La conscience implicite suffit aussi avec les gens qui nous entourent. La photo rappelle un moment donné de l’existence de quelqu’un, ou de nous avec lui. Avec la mort, nous sommes confrontés à la discontinuité. Le lien, l’habitude de les avoir, est rompu. Et nous avons peur d’oublier. Nous pensons que c’est impossible comme pour contrer l’angoisse de l’oubli. Alors les traits qui étaient immédiats deviennent objets de souvenir. L’objectif se focalise sur ce qui était global et qui devient l’objet d’une extrême attention. J’explicite ce qui était implicite. L’évidence n’est plus. Brisée. Il faut la reconstruire, reconstituer. C’est le travail volontaire de la mémoire de recomposition (et décomposition; pièces par pièces, la mémoire redonne l’image; comme un puzzle) de l’être absent. J’ai gardé en moi ces yeux souriants ou ces lèvres malheureuses, traits immédiats de l’expression de l’autre et il est temps, maintenant, qu’il n’y est plus et que je ne l’oublierais jamais; de les faire sortir (les rassembler). Mais cet assemblage est une image et non une présence. Je lui trouverai refuge dans le grenier, dans la mémoire. Et ça sera tant mieux. L’absent deviendra une présence tranquille et non plus obsédante. Bien sûr, là. Pour toujours. À jamais. En paix. Dans la toile de fond. Dans mon film intérieur qui défile. Et pas comme au cinéma.

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