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La phénoménographie anthropologique
21 février 2008

La dimension partagée de l'objet, et les espaces

La dimension partagée de l'objet, et les espaces pluriels de la sorcellerie

Dans les sciences sociales, il va de soi que l'objet de recherche doit se trouver communément partagé par le groupe étudié. Des hommes et des femmes sont revêtus de normes, de coutumes, de traditions, de comportements ou d’actions spécifiques en tant qu’ils les partagent dans un espace limité. Ce qui nous pose problème est la focalisation habituelle des chercheurs sur la dimension partagée de l’objet, en la prenant comme point de départ pour orienter leur regard au fil de leur recherche.

Jeanne Favret –Saada, distingue différents espaces en ce qui concerne son « terrain d’enquête » selon le point de vue des Bocains. Cette pluralité ne se situe pas, comme dans la plupart des travaux ethnologiques, à un niveau territorial, ou propre à l’ « organisation sociale ». Il s’agit ici d’une diversité de descriptions de la part des personnes rencontrées, à l’échelle situationnelle. Dans un premier temps, sont distingués « l’espace magique » et les « situations ordinaires- […] quand il n’y a pas d’ « anormal »-, » (pp 218-219). Nous comprenons que la différence porte sur la mise en jeu ou non de la sorcellerie dans une situation donnée. L’ethnologue va d’avantage s’appuyer sur l’ « espace magique », là où se situe la parole comme pouvoir. Encore, par la réflexion sur la position de ses interlocuteurs, la parole d’une personne dans un même « espace magique » peut entendre une autre dualité d’ « espaces » que sont l’ « ordre officiel » et l’ « ordre du secret ». Si on interroge un paysan dans le but d’une simple quête d’informations sur la sorcellerie, celui-ci va reprendre les « théories officielles » de l’ordre social, c'est-à-dire le discours partagé par les « savants » : la sorcellerie ne concerne que des croyances de fous et d’arriérés. Dans ce cas, la capacité du paysan à parler de la sorcellerie se figure sous l’ « empire du secret », invisible aux yeux du simple informateur. De même, si l’ensorcelé attribue à son interlocuteur une position où ce dernier est susceptible de partager et de se situer dans l’ « espace magique », le jeu de la sorcellerie se maintient dans l’implicite. Ainsi, la sorcellerie s’entoure de définitions plurielles qui peuvent être mises en jeu non seulement par différentes personnes, mais aussi par un seul individu dans une même situation. Nous comprenons alors l’impossibilité pour le chercheur qui se focalise d’emblée sur ce qui lui semble homogène, d’accéder à la réalité décrite par Jeanne Favret- Saada.

Notons que lorsque nous entendons le jeu de la sorcellerie sous un mode implicite, il n’est pas question ici d’une structure « objective » partagée des paysans, par leur appartenance à un même groupe. Nous pensons ici à la théorie de Pierre Bourdieu pour qui, la signification des actions, « le sens pratique » des agents se rapporte à des habitus, par leur intériorisation d’une structure sociale. Nous trouvons là une dimension explicative aux pratiques qui permet au chercheur de ne pas se focaliser sur l’action en train de se faire, mais sur le sens qui la précède. La recherche de Favret- Saada nous montre que chez les paysans du Bocage Normand, il n’est pas cohérent d’analyser l’objet de la sorcellerie en dehors de l’action. De même, l’attribution d’une position à un interlocuteur, ce à quoi va dépendre sa parole, ne se trouve pas forcément reconnue et partagée par chaque acteur. Par exemple, un individu se définissant comme ensorcelé, peut être perçu comme sorcier ou désenvoûteur par un autre. Ces positions ne sont pas des données fixes dans une structure sociale. Elles ne sont que changeantes selon le cours de l’action dans une situation d’énonciation particulière. Ainsi, les raisons des acteurs de se catégoriser mutuellement appartiennent au processus d’interaction lui-même.

Enfin, la question « Qui parle à qui ? » est très proche de l’individu. Un « espace magique » partagé et cohérent par rapport à l’histoire des acteurs n’engage que quelques cas particuliers. « la sorcellerie constitue toujours une relation duelle qui n’engage que deux familles. » (p 281).Favret- Saada porte son analyse sur des cas particuliers et peut même aller assez loin dans leur trajectoire personnelle.

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