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La phénoménographie anthropologique
21 février 2008

Le modèle interactionniste Évidemment,

Le modèle interactionniste

Évidemment, Jeanne-Favret Saada ne fait nulle référence à ce courant sociologique de l’École de Chicago, qui était à la même période en plein essor aux États-Unis. Pourtant, si nous imaginons dans ce contexte du début des années soixante –dix, une ouverture dynamique entre la sociologie interactionniste américaine et l’ethnologie française, nous avons quelques raisons de penser que la démarche ethnographique de Jeanne Favret- Saada aurait été conçue et reçue dans un cadre scientifique d’une envergure moins critique, c'est-à-dire d’avantage légitimée.

Á la fin des années trente, le sociologue Herbert Blumer emploie le premier le terme de « symbolic interactionism », sous l’influence de son enseignant : George Herbert Mead. Sociologue très attaché au respect du « réel », qu’il appréhende comme fugace et en définition perpétuelle par les individus, Herbert Blumer porte un œil critique sur les théories des sciences sociales objectivant le monde en terme de relations causales. Selon lui, les sociologues ont tendance à figer et déterminer les êtres humains par leurs « concepts définitifs », tels que « culture », « structure », etc. En observant de près le réel, le chercheur doit porter son intérêt sur des personnes, inter agissant dans des situations concrètes. «  La société humaine doit être vue comme consistant en personnes agissantes et la vie de la société comme consistant en leurs actions » (Blumer H, La société en tant qu’interaction symbolique, Sociétés, n°66, 1999 : Cité par D. Le Breton (2004 : p 42)). Nous avons développé un cadre théorique semblable à propos de Jeanne Favret-Saada, en montrant comment elle s’éloignait du modèle malinowskien, qui ne garde des individus que ce qui répond typiquement à la culture. L’ethnologue et Herbert Blumer ont ce point commun d’investir théoriquement la notion de situation, dont la réalité se trouve étroitement liée à la propre définition des acteurs. Une personne ajuste son action avec les autres selon son interprétation subjective des significations que ces derniers portent dans un certain cadre. Cependant, nous pouvons une première fois esquisser la principale dissonance entre les démarches des deux chercheurs, en ce qui concerne ici, l’appréhension de la réalité. Nous avons souligné comment s’est effectué à un moment donné dans sa recherche, la prise de conscience de Jeanne Favret- Saada de ce jeu de position dans l’énonciation d’un discours situé. Or, nous comprenons qu’Herbert Blumer entend dès les premiers pas du chercheur sur le terrain, un regard orienté avec ces outils théoriques et méthodologiques de l’interactionnisme. Cet œil « préparé » au préalable nuancera peut-être quelques aspects, par rapport à Les mots, la mort, les sorts, dans la manière de pratiquer l’ethnographie et la sélection des données qui feront science.

L’Ecole de Chicago est réputée pour avoir contribué largement à la légitimation du travail ethnographique (fieldwork) en sociologie. Le chercheur doit se familiariser avec son objet de recherche en s’empreignant de l’univers quotidien du groupe étudié. L’interactionniste pose son regard dans sa propre région, sa ville, sur les communautés d’ « à côté ». Ainsi l’observation participante se pose dans d’autres termes que ce qu’on a comprit pour « l’observation d’une culture ». Encore, la « bonne distance » n’est pas encouragée. En effet, le point fort de l’engagement du chercheur interactionniste, se trouve en ce qu’il se considère lui- même comme une partie de l’interaction, jouant un rôle ou un autre. Everett C. Hugues, écrit à propos de l’observation participante : « La principale spécificité de cette méthode est que l’observateur se trouve pris, à un degré ou à un autre, dans le réseau de l’interaction sociale qu’il étudie et dont il rend compte. Même s’il observe à travers un trou de serrure, il joue un rôle – celui d’espion ». (Hugues E.C., L’œil sociologique, Paris, EHESS, 1996 : Cité par D. Le Breton (2004 : p 173)). Nous retrouvons dans cette dernière citation, l’argument de Les mots, la mort, les sorts, qui bouleversera les valeurs scientifiques. Audacieusement, nous relions le « se trouve pris » d’Everett C. Hugues et l’ « être pris » dans les sorts de Jeanne Favret-Saada. En effet, pourquoi à l’utilisation du verbe « se faire prendre » chez l’ethnologue, ne serait – il autorisé qu’une interprétation en terme de sorcellerie ? Outre la question de la sorcellerie, de l’enquêteur aux enquêtés, les être humains « sont pris » dans un processus d’interactions et de séquences d’actions qui engendre que par l’un ou par l’autre, l’un ou l’autre sera ceci ou cela. De même, notons que « se faire prendre » appartient au vocabulaire paysan chez Jeanne Favret-Saada, mais il est de l’ordre de la rhétorique scientifique du côté de l’interactionniste. Cette dissonance illustre la nuance entre les deux démarches ethnographiques. Comme nous l’avons énoncé, à la différence du courant interactionniste, la chercheuse élabore petit à petit ce qui sera ce cadre théorique, se penchant sur l’attribution de rôles, de positions. Une œuvre non isolée par son objet, bien qu’inédite par son épistémologie est bien une des suggestions de notre cadre problématique.

Nous comprenons que dans le courant interactionniste comme chez Favret- Saada, il ne se pose pas la question d’objectivité où de règles de distanciation. L’observateur est familier d’une manière ou d’une autre à son terrain d’enquête, tout en travaillant sa réflexivité sur sa propre position. Ceci limite encore le sens du terme d’ « observation participante ». Premièrement, le chercheur ne se contente pas d’observer la situation dans laquelle il se trouve, celui-ci se focalisant sur les conversations et les jeux de langage dans lesquels il est activement pris. D’autre part, il ne participe pas aux interactions de la même façon que les êtres humains non sociologues ont coutume de faire. Nous userons ainsi de deux facettes du chercheur : le « familier », et le « réflexif » pour poursuivre notre mise en perspective.

Dans le courant interactionniste, nous pouvons repérer deux aspects du « chercheur familier » : celui qui intègre au fur et à mesure les habitudes d’une communauté donnée, et l’opportuniste, pour qui les signes et les codes des interactions qu’il va étudier, sont déjà ceux de sa propre vie quotidienne. Jeanne Favret-Saada incarne le type d’ethnographe qui se « convertie ». Le sociologue ou l’ethnologue doit pouvoir comprendre et décrypter la signification du verbal et du non verbal dans les situations d’interaction dans lesquelles il se trouve. Ainsi, en usant de sa compréhension de ce décodage interactionnel, le scientifique peut se présenter au groupe étudié de façon pertinente, sans nuire au bon déroulement de l’interaction, ni qu’autrui soit surpris de son comportement. Nous avons évoqué que c’est en s’appuyant sur les malentendus qu’engendrait son ignorance de la grammaire interactionnelle dans telle ou telle situation, que Jeanne Favret- Saada prit conscience de ce que les paysans attendaient de son comportement. L’ethnologue se trouve ici proche du point de vue interactionniste, qui encourage le chercheur à reconnaître ses erreurs et s’y confronter, pour ensuite être capable de s’ « ‘engager’ aux mêmes rythmes corporels » (Goffman, 1989 : 125), que les différents acteurs. Jeanne Favret- Saada a prit conscience, que pour que chacun garde la face, il fallait qu’elle accepte la position qu’on lui attribuait, afin de favoriser dans l’interaction un « accord de surface » (Goffman, 1973, a : 18). Aussi, nous pouvons percevoir un certain maniement du langage, lorsqu’elle saisi qu’un paysan est confronté lui-même à ses « erreurs ». « Le public y fut enrôlé pour l’occasion, car on me dit que chacun rit alors du désarroi de Coquin et que ce fut le premier signe de ce que sa force magique était enfin défaite : comme « y n’savait pus où s’jeter » après avoir ainsi perdu la face dans un affrontement public, il cessa depuis lors ses « tours de force » contre Monnier. » (p 280). Davantage connaisseuse des « règles » de la sorcellerie qui se jouent dans l’interaction, la chercheuse est également capable, à un moment donné, d’utiliser les termes « indigènes » dans ses conversations sur le terrain. Et puis, nous pouvons imaginer que soumit au « rythme » de sa recherche toute la journée, l’interactionniste s’accorde une distance personnelle à l’enquête, une fois chez lui ou dans d’autres situations intimes. Or, Jeanne Favret- Saada nous fait part de ses peurs, ses cauchemars où ses insomnies, dus à son objet d’étude. De plus, l’ethnologue finit par se penser elle-même ensorcelée, victime par exemple, de nombreux accidents de voiture pendant le cours de sa recherche. Le regard ethnographique, prit dans son propre jeu, a-t-il franchi les limites de sa scientificité ? Nous pensons qu’il est un peu court de raisonner ainsi, et une lecture approfondie de Les mots, la mort, les sorts, nous fournit l’esquisse d’une ethnographie très contrôlée et soumise à la réflexivité de l’ethnologue.

A Chicago, le projet du « Field Training Project », entreprit par Everett. C. Hugues en 1951, embrasse la logique de « fonder une sociologie réflexive de l’enquête de terrain. » (Céfaï, 2003 : 318). Il est clair que l’interactionniste n’oublie pas de rendre problématique les rapports entre sa personne, les différents rôles qu’il joue sur le terrain, et son projet scientifique. Son œuvre constitue un point de vue analytique, mariant ensemble la réflexivité du chercheur et celle de l’acteur aux interstices de leurs séquences d’action. Les mots, la mort, les sorts est par contre l’ouvrage de référence, pour évoquer une ethnologue qui a l’œil trop collé à sa recherche, celle qui se confond de façon exacerbée dans le décor de la sorcellerie, mais qui encore une fois, ne pouvait faire autrement, son terrain étant si spécifique. Pourtant, nous maintenons notre intuition que cette ethnographie demeure au contraire un « effet de loupe » sur les différentes étapes et le contrôle d’une recherche. Dans un premier temps, nous admettons que si l’ethnographie de Jeanne Favret- Saada ne se trouve que le produit d’un rapport trop familier au terrain, nous n’aurions pu souligner les « erreurs » qui ont valu pour cette familiarisation. Ces marqueurs orientant l’apprentissage de l’ethnologue, de par leur faculté à révéler le décalage entre les attentes normatives de son action et son action réelle sont affichés et analysés dans l’ouvrage. Ils font partie en cela de l’ethnographie en témoignant un certain regard qui apporte sa cohérence à la recherche. Notons qu’un autre chercheur aurait pu éliminer toutes ces indélicatesses, ne rapportant que ce qui authentifie des connaissances sûres sur son objet. Ainsi, cet après coup  qui donne son sens à la démonstration de Jeanne Favret- Saada, marque le contrôle d’une recherche en sa seule évocation. Soulignons que l’après- coup, ne constitue pas qu’une unique étape, un tournant franc, ou une prise de conscience soudaine qui amène l’ethnologue à se résoudre à « une autre ethnographie ». L’après- coup se perpétue en quelque sorte jusqu’à la fin de l’enquête, et l’ethnologue énonce clairement l’importance de ce retour réflexif dans son travail, se défendant des propos qui la placeraient « trop dedans ». « les sensations fortes, l’expérience de l’inquiétante étrangeté ou celle du vacillement de mes repères subjectifs ne m’ont paru à aucun moment pouvoir constituer une fin en soi : ce n’est pas à évoquer un quelconque « voyage au pays de l’étrange » qu’est destiné cet ouvrage, mais à reprendre après coup des épisodes vécus dans la confusion pour élucider ce qui est en jeu dans une crise de sorcellerie, [] » ( p 214). De même, l’ethnographie de Jeanne Favret- Saada ne se formule point qu’en des après coup, l’ethnologue est capable de faire preuve de réflexivité dans le cours même de l’action. « Je ne sus que répondre et un long silence s’établit, pendant lequel chacun essayait de penser plus vite que l’autre : les Babin se demandaient probablement qui j’étais pour oser m’exposer si légèrement aux foudres magiques de leurs sorciers ; tandis que moi, cherchant à comprendre qui j’étais censée être pour mes interlocuteurs, je me taisais pour éviter non seulement de les décevoir, mais, aussi bien, de leur mentir. » (p 208). Aussi, l’ethnographe fait preuve de stratégies dans certaines interactions avec ses « enquêtés ». Nous illustrons ceci par la situation où elle devait trouver une issue entre le fait d’accepter la place de désenvoûteuse, et ne pas se faire payer. « Pensant à ma répugnance à me faire payer d’eux – car, à ce moment-là encore, je n’en pouvais accepter la perspective- je déclarai que ma propre guérison avait signifié pour moi l’ouverture d’une dette, mon thérapeute m’ayant dit : «  Tu guériras quelqu’un comme je t’ai guérie. » (p 289). Il est inutile de développer ici de façon dense, les réflexions de Jeanne Favret- Saada sur la présentation, les stratégies, etc. des « indigènes », puisque nous montrons depuis le début de notre travail que l’objet de recherche même se lie à la capacité des paysans de décrypter, calculer, interpréter, les significations que suppose leur interlocuteur, pour le positionner et agir. Soit, que ce soit sur sa propre position, celle des enquêtés, dans le cours de l’action ou après coup, Jeanne Favret- Saada fait preuve de réflexion et de contrôle très minutieux dans son ethnographie.

Au cours de sa recherche, il ne se trouve pas des temps où Jeanne Favret- Saada était entièrement prise par les habitudes de son terrain, ni sous un contrôle omniprésent de son propre regard. Cet œil, dans l’action où après coup, est orienté lui-même d’une pluralité de cadres, avant de cerner ce même pluralisme pour les acteurs eux même. Par exemple, après avoir acquis une « tradition magique » (p 299) en assistant la désenvoûteuse, Mme Flora, pendant plusieurs mois, Favret- Saada peut aisément, par ces dispositions, orienter les Babin vers cette dame. Dans cette situation, l’acte de l’ethnologue se repose sur ce qui lui est maintenant coutume, tout en entretenant des fins stratégiques. Nous nous questionnons cependant sur ce temps de la recherche, où l’ethnologue semble perdre ses repères, se disant « prise » et troublée par la sorcellerie. En effet, ce moment de confusion ne demeure ni sous l’égide du contrôle scientifique, ni de par la familiarisation au terrain. Il est vrai que les raisons de ces circonstances ne peuvent vraiment s’arrêter à la trop grande proximité de l’ethnologue à son objet, puisque le vécu de cette expérience embrasse un fond problématique, de par ses profondes inquiétudes. Et si le fait que Jeanne Favret- Saada soit « prise » par les sorts, ne pouvait s’appréhender non pas à travers tel ou tel angle de vue des sciences sociales, mais au nom de cette vertu « oubliée » de l’anthropologie : l’être humain? Nous avons déjà montré que l’ethnographe agit sur le terrain, se moule dans les interactions avec les uns et les autres, considérant les « enquêtés » comme des êtres humains plutôt qu’un groupe homogène et culturel. Ces derniers sont d’autant plus humains, que l’ethnologue étudie sa propre position de la même façon que la leur, ce qui atténue considérablement la ligne épaisse du « grand partage » (eux / nous). Un ethnographe, « converti » ou « opportuniste », pendant les longs mois de son enquête, établit des relations avec les personnes et les objets du monde qui l’entoure qui ne sont pas uniquement orientées pour le but de la recherche. L’ethnologue est là, mais aussi avec son histoire, ses affects, ses projets personnels. Reconnaître la part « humaine » à ses enquêtés est quelque chose, mais toutefois, dans l’action, le chercheur n’est pas seulement en train de se dire qu’il faut qu’il regarde ses enquêtés comme des humains. Malgré sa bonne volonté, l’ethnographe présenté ainsi demeurerait encore un étranger différent. Nous contredirons les exégèses qui entendent que Jeanne Favret- Saada s’est fait dépassée par la sorcellerie. Il est seulement que l’ethnologue s’est laissé bercée, au nom de sa sensibilité humaine, par le monde qu’elle a apprit à décrire avec un certain regard. « Prise » dans les sorts, elle n’oublie pas ce qu’elle a apprit sur la sorcellerie, mais omet un instant de l’envisager en tant que grammaire. Mais à quoi bon insérer dans une recherche ayant pour fin l’analyse scientifique, ces détails humains ? Ne sommes-nous pas censé, dans l’ouvrage final, lire les mots d’une ethnographe et non d’une femme ordinaire ? Pourtant, ces petits résidus, qui semblent réservés au journal de terrain, et qui se laisse absorber par l’œil de bien des chercheurs en sciences sociales, ont toute leur importance dans l’ethnographie, dans le sens où ils participent activement à l’orientation de la recherche. Par exemple, le fait que Jeanne Favret- Saada se soit pensée « prise » dans les sorts, a considérablement changé ses démarches sur le terrain, et la façon dont les personnes se sont présentées à elle. De même, sans reprise à un moment où a un autre du contrôle du fil de sa recherche, l’analyse scientifique aurait pu se réclamer d’une toute autre allure. Ainsi, la position de Jeanne Favret- Saada étant imminente dans l’ethnographie, elle ne peut se décrire comme un ethnographe très réflexif et très conscient de ses différents rôles sur l’instant. Il ne faut d’ailleurs pas croire que les paysans attribuent à l’ethnologue des positions limitées et immuables. De même, dans un même instant, les uns et les autres jouent à la fois une pluralité de rôles. Ami, ethnologue, ensorcelé, dans le même temps, ces positions s’entremêlent pour les uns et les autres, liant des hommes familiers, réflexifs, et humains. La part d’humanité et de réalité étant renforcée, par notre reconnaissance de ce pluralisme. «  L’Homme est toujours ici est ailleurs, en même temps lui- même et un autre ». (Piette, 2006 : p 51).

La mise en perspective de Les mots, la mort, les sorts, avec le courant interactionniste, nous permet de repérer une dimension paradoxale de cette ethnographie, la balançant entre l’ordinaire et l’inédit. D’une part, nous soutenons que la manière dont l’ethnologue « voit » la « réalité » de son terrain, n’est pas le propre de la question des sorts. Il existe une grammaire particulière à la sorcellerie, de même que chez le boulanger du coin, où chez les Trobriandais, mais si nous acceptons de faire une ethnographie de l’action, nous reconnaissons que le système de position implicite, mais qui s’explicite par une parole alors agissante, est un cadre d’appréhension de la réalité qui vaut pour les sciences sociales en général. D’un autre côté, le travail de Jeanne Favret-Saada se différencie du courant interactionniste par le fait qu’elle ne s’éprend que progressivement de cette « méthode d’observation ». Une fois que l’interactionniste s’est familiarisé avec le monde qu’il cherche à comprendre, il ne retiendra que la pertinence de la grammaire interactionnelle, éliminant ce qui se situe en dehors de cette dernière. Ainsi, si ce même chercheur commence sa recherche pour comprendre comment les sujets se présentent les uns aux autres dans un contexte précis, Jeanne Favret- Saada découvrira que dans un contexte précis, la sorcellerie, il y a intérêt de s’intéresser à la manière dont les sujets se présentent aux uns aux autres. L’ethnographie de Jeanne Favret- Saada est selon nous inédite, dans le sens où elle nous est dévoilée, dans le matériel scientifique, comme la forme d’une expérience où les étapes successives ne meurent pas par jugement d’inintelligibilité. Au contraire, les différentes épreuves, qu’a embrassé la chercheuse, liées à des regards pluriels apparaissent et ont leur logique propre dans Les mots, la mort, les sorts. Nous pensons que la plupart des auteurs des sciences sociales se heurtent, à un moment ou à un autre, à un après coup. Seulement, ce qu’ils ont « vu » au seuil de celui- ci, n’apparaît pas dans l’œuvre scientifique, ceci n’est que brouillon. Toutefois, nous n’entendons pas que Jeanne Favret- Saada n’a pas amputé de savoir dans le cours de sa recherche. Quelques angles de vues qui existaient sur son terrain sont bien sûr tombés dans l’oubli de façon consciente ou inconsciente, et nous ne sommes donc pas en mesure de les relever. L’ethnologue avoue explicitement avoir laissé échapper du réel, prise par ses affects. « L’amnésie régulière, la sidération, l’arrêt de la réflexion devant ce qui paraît comme informulable – c’est- à- dire la perception confuse de ce qu’il y a là un impossible- ce fut ma condition ordinaire au cours de cette aventure. » (pp 47- 48). Nous avons abordé l’éventail restreint des relations de Jeanne Favret- Saada sur le terrain, et sa focalisation importante sur une famille particulière : les Babin. Premièrement, l’ethnologue n’a pas eu fréquemment cette opportunité qu’on lui « parle » des sorts, la supposant désenvoûteuse. Dans un second temps, son engagement dans cette relation, impliquait qu’elle prenne parti pour les ensorcelés et qu’elle s’inscrive dans un certain réseau de relations situé dans l’espace. Aussi, l’ethnologue tait les éléments dans une situation qui ne lui semble pas pertinents. « il me parla longuement de sujets sans importance sur un ton chaleureux et amical, []. » (p 315). Notons que le fait d’évoquer ces « résidus », les rend toutefois existants dans son ethnographie. Ils ont leur place et leur intelligibilité. Ces limites pratiques ou éthiques concluent sur deux aspects importants : le lien ambigu entre l’observation et l’ethnographie de Jeanne Favret Saada comme forme d’expérience relationnelle, active et humaine.

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