B.3. Propositions de recherche : anthropologie et minimalité
Voici deux grandes pistes de recherche : l’une concerne la sociologie proprement dite, l’autre la primatologie. (Albert Piette)
Sociologie et minimalité
Les expressions de la minimalité humaine sont diverses :
- une tolérance diffuse consistant à oublier, ne pas y penser, accepter sans y penser, manquer de volonté pour contrecarrer, reporter ou différer, ne pas savoir (et l’accepter) ce que pensent les autres en particulier leur degré de sincérité, accepter les contradictions, les dissonances, les petits écarts par rapport aux objectifs de départ.
- la facilité d’enchaînement des situations et des actions : ne pas y penser, ne pas hésiter, reléguer les éléments potentiellement distrayants
- choisir sans préférence, ne pas évaluer ou examiner toutes les données d’une situation, ne pas aller jusqu’au bout d’une action par rapport à l’idée initiale
- percevoir de manière minimale et économe
- penser à d’autres choses que l’action en cours, au passé, au futur, à d’autres situations
- accomplir des gestes de distraction ou de détachement, périphériques à l’action en cours, avoir une posture relâchée.
Ces éléments caractérisent la présence de l’homme minimal en situation. Ils sont à découvrir dans la vie, le rythme et la journée selon la méthode phénoménographique. Divers sujets de recherche :
- les variations de situations de X au cours d’une même journée sont porteuses d’informations sur les différentes expressions de cette minimalité
- une comparaison de la vie d’un homme ou d’une femme dans un petit village de l’Aveyron, à Paris ou dans une cité de banlieue, à Strasbourg ou à Bagdad, d’un enfant de 3 ans, d’un vieux de 90 ans, d’un non-voyant ou d’un autiste, d’un SDF ou d’un prisonnier
- observation et analyse, dans les diverses interactions et coprésences des hommes, des différents types de minimalité en cours, des changements de minimalité au fur et à mesure des situations.
- repérer, selon le rythme des situations et des rencontres de chacun avec les autres, la pertinence du « social », du « collectif » et de la « culture » : quand et surtout comment ces « gros êtres » y sont-ils présents ?
- à la minimalité de la présence des humains, correspond la virtualité des êtres collectifs présents en situation virtuellement sans l’activation par les hommes, sans la pensée et la conscience de ceux-ci.
Singes, grands singes et minimalité : pour un primatographie existentiale
Reprenons en détails les expressions du mode mineur de la présence des hommes : - la docilité concerne l’intervalle constitué par le « retrait » de l’attention dans l’accomplissement immédiat et automatique, sous l’effet de l’habitude, d’une action et de l’utilisation implicite de règles, de repères et d’indices divers.
-l’interstitialité désigne la marge introduite dans l’acte de présence ici-maintenant par une posture modalisatrice sous forme d’hésitation, de dégagement, (d’"absence") et aussi de petits écarts gestuels ou posturaux.
-la latéralité désigne, dans une unité d’espace-temps, des éléments déjà présents et périphériques à l’enjeu pertinent, qui peuvent être des personnes, des animaux, des objets, des paysages. Ils sont constitutifs d’une toile fond par à laquelle l’être observé peut avoir une perception minimale, tout au plus distrayante envers l’un ou l’autre de ces éléments considérés à l’état de détail.
-l’extériorité concerne, dans l’acte de présence ici-maintenant ou par rapport à celui-ci, le surgissement d’éléments extérieurs à l’unité spatio-temporelle concernée, sous la forme de pensées vagabondes, en particulier de souvenirs de situations passées ou d’anticipations de situations futures.
-la fluidité exprime le flux immédiat et continu entre les situations, les instants et les séquences d’actions (même contraires et contradictoires), jalonné ou non par des passages à vide et des temps faibles, marqué par des variations (fluides) d’intensité, des balances d’attention, mais aussi par la capacité humaine à ne pas clôturer une action ou une conversation, à les reporter, à oublier et à mettre entre parenthèses.
-l’hypolucidité de l'homme pourrait constituer une sixième expression. Elle correspond à la mise en veilleuse de la conscience réfléchie et en particulier de la mort (absente chez le primate et le chien). Elle désigne ainsi la marge introduite dans la présence en acte dans une situation par le mode de conscience non réflexif sur l’acte en question en même temps qu’il est accompli, et par l’absence d’acuité précise sur les événements de la vie, le temps et la mort, sur l’intervalle entre l’instant présent et la mort.
L’observation consisterait à repérer la distribution de ces différents éléments chez certains singes et grands singes, en particulier selon leur place dans l’arbre phylogénétique : macaque, babouin, orang-outan, gorille, chimpanzé et bonobos. Cet exercice suppose une observation rapprochée avec l’animal dans son rythme quotidien, idéalement en milieu naturel.