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La phénoménographie anthropologique
21 février 2008

III. L'écriture ethnographique La présence de

III. L'écriture ethnographique

La présence de l'ethnologue

Il est bien connu que Les mots, la mort, les sorts se veut un texte où le « je » de Jeanne Favret- Saada prend une place non négligeable. Ce « je » est d’autant plus important qu’il situe à la fois une femme qui a vécu une succession d’épreuves dans un lieu et un temps donné, et l’écrivain qui s’adresse à son lecteur. Dans la précision constante par l’ethnographe, du lien actif entre sa présence et ses descriptions, s’explicitent ses opinions, ses sentiments, ainsi que son corps. Nous repérons alors, un « je » étonné, choqué, soulagé, qui se sent incapble, qui admire et se reconnaît,…etc. Jeanne Favret- Saada nous fait partager, dans la description même d’une interaction, les interstices de son esprit et sa ligne d’action. Nous sommes ainsi un peu dans sa tête. « Je me demande ce qu’elle- même en a pensé, mais n’ose questionner. » (p 152). Nous imaginons, de même, sa posture physique. « J’avais acquiescé, l’air absent, [] » (p99). Notons que ce cheminement « subjectif » ne se trouve pas clôturé aux strictes limites de l’enquête, mais embrasse l’histoire personnelle de Jeanne Favret- Saada qui évoque son immigration, son fils, ses cauchemars, ses habitudes alimentaires, …etc. L’expérience ethnographique apparaît à ce « je » personnel comme un « monument mémorial ». « - ce fut une mémorable aventure, dont ma vie entière portera trace- » (p 47).

Le « je » écrivain entreprend une communication active avec les éventuels lecteurs. Tout au long de l’ouvrage, l’auteure nous accompagne dans notre lecture, en nous renvoyant par exemple à des chapitres précédents, nous rappelant des situations précises ou certains récits pour faire des ponts à la fois dans son cheminement d’enquête et théorique. «  On se souvient que cette histoire nous intéresse […] ». (p 95). A la suite de ses descriptions, l’ethnologue explicite les étapes de son analyse de façon structurée et numérotée et établit des récapitulatifs sur ce qui lui semble essentiel, de nous faire part de schémas, de diagrammes,…etc. Cette procédure est nourrit par la volonté affirmée de l’auteure de clarifier un texte qu’elle juge elle-même confus. « Comme rien n’est jamais si simple, quand il est question de sorcellerie, il me faut faire état de quelques nœuds supplémentaires dans l’écheveau, pourtant assez embrouillé, de cette histoire ». (p 101). Ce « je » qui oriente la compréhension du lecteur est parfois plus explicite. « On aura compris, j’espère, que j’ai engagé tant d’énergie à entrer dans les détails infinis de cette histoire parce qu’elle met en évidence une situation typique []» (p 310). L’inquiétude apparente de l’ethnologue sur la réception de son étude s’appuie probablement sur la conscience d’une ethnographie non ordinaire dans le monde scientifique. D’ailleurs, le « je » prend quelquefois alors une tournure défensive directement dirigée envers des critiques possibles. « Mes contradicteurs éventuels voudront bien se dispenser de m’opposer l’argument facile selon lequel j’aurais été dans le Bocage pour y retrouver mes fantasmes. » (p 213). Notons que l’auteure défend clairement son écriture complexe liée à son attention aux situations particulières et aux détails, en prenant la question du réel comme argument. « Mais c’est un parti que j’ai pris de ne jamais craindre, si j’évoque des situations réelles, d’en développer la complexité – laquelle , par définition, ne saurait coïncider avec l’univocité de mon propos du moment» ( p 74). Cette façon dont Jeanne Favret- Saada met en œuvre une communication explicite avec le lecteur, laisse apparaître un « je » écrivain aussi actif qu’un « je » ethnographe. Ces deux parties toutes aussi présentes dans l’ouvrage se rendent alors elles- même problématiques. Sommes- nous convaincus que l’ethnographie et l’écriture forment deux étapes si distinctes de la recherche ?

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